Le réseau des sculptures médiévales des musées de France
Florian Meunier, conservateur en chef au musée Carnavalet
Complémentaire des structures centralisées et des associations professionnelles, les réseaux informels en dehors d’internet sont rares et surtout peu visibles. Présenter le réseau des sculptures médiévales et Renaissance des musées de France qui a fêté récemment ses dix ans d’existence est l’occasion de résumer en partie le travail fructueux qui a été accompli depuis sa création.
Lors de son lancement en décembre 2003 par Sophie Guillot de Suduiraut, conservatrice en chef au département des sculptures du musée du Louvre, et Françoise de Franclieu, conservatrice générale à l’Inspection de la Direction des musées de France1, les bases de l’action du réseau étaient posées : il s’agissait de faire se rencontrer les responsables de collections pour échanger des informations sur l’histoire et l’actualité, pour parler d’expériences et de pratiques concrètes portant sur la conservation, la restauration, la présentation des sculptures médiévales et du début du xvie siècle, et avant tout pour promouvoir les recherches et les publications scientifiques.
I. Un réseau spécialisé et ouvert
Le réseau réunit les responsables de collections de sculptures médiévales des musées de France au rythme de deux fois par an, en alternance dans un musée ou lieu d’exposition parisien (fig. 1) et dans un musée d’une autre région.
La communication entre les membres est assurée très simplement par un envoi de courriers électroniques dont la liste de diffusion est tenue à jour au département des sculptures du musée du Louvre, grâce à Pierre-Yves Le Pogam, conservateur en chef, et Christine Vivet-Peclet, chargée d’études documentaires. La difficulté dans ce domaine est qu’il existe peu d’adresses électroniques institutionnelles permettant que les comptes rendus, programmes et annonces de réunions arrivent à toutes les personnes qui pourraient être intéressées.
Dénué de toute trésorerie et subvention, puisqu’il ne possède pas de statuts, le réseau des sculptures médiévales implique la prise en charge des frais de mission par l’employeur de chacun : il faut reconnaître que c’est le principal frein à la participation régulière et assidue de tous les membres.
Les réunions à Paris se tiennent le plus souvent au musée du Louvre, au musée de Cluny, au Petit-Palais, au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) et plus récemment au musée des Monuments français2.
Pendant les douze premières années du réseau, de 2003 à 2015, les séances ont non seulement suivi l’actualité des grandes expositions consacrées au Moyen Âge et au XVIe siècle, mais aussi développé les thèmes récurrents relatifs aux collections permanentes. Une attention particulière a été portée à l’étude des sculptures germaniques et de l’Europe du Nord, accompagnée de séances du réseau en Alsace (Strasbourg et Colmar), au musée et monastère de Brou à Bourg-en-Bresse (fig. 2) ou encore à Lille et Lyon. En parallèle, un programme de recherche sur les sculptures souabes des musées de France, commencé en 2007, vient de trouver son aboutissement avec la publication d’un catalogue raisonné3.
La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur n’a pas encore eu l’occasion d’accueillir de réunion du réseau des sculptures mais on peut citer la présence régulière des responsables des musées d’Aix-en-Provence, Avignon et Marseille, en ajoutant que de l’autre côté de la frontière que forme le Rhône, les musées du Gard sont régulièrement représentés.
Favorisant la connaissance des collections des autres musées, le réseau participe aussi à la mobilité des conservateurs que l’on retrouve ainsi, d’une réunion à l’autre, dans leurs postes successifs. En comparant ce réseau avec des réunions plus formelles organisées par les services des musées des DRAC, on constate leur caractère complémentaire : c’est ainsi le cas en Île-de-France avec le réseau des musées archéologiques, dont la spécialité diffère tant pour les périodes étudiées que pour le type d’objet et de matériau présenté.
II. La force d’un réseau informel et la richesse de ses approches thématiques
Les réunions informelles, libérées des critères d’autorité et de hiérarchie, sont le lieu où l’on peut présenter l’actualité des musées – qu’il s’agisse de difficultés ou de succès – et parler en toute confiance de sujets sensibles comme les objets volés. Plus ponctuellement, le musée qui accueille la réunion bénéficie des débats autour des sculptures difficiles à cerner, sorties pour l’occasion des réserves pour être vues par un maximum de spécialistes qui débattent ainsi à la fois de la provenance géographique, de la datation et de l’iconographie.
Le domaine plus technique de la muséographie n’est pas oublié car les expositions temporaires et les inaugurations de nouvelles salles sont l’occasion de voir les progrès dans des domaines comme celui de l’éclairage (le choix des tons de la lumière des fibres optiques au musée Sainte-Croix de Poitiers en 2011) ou du soclage (les sculptures en pierre du musée de Cluny et la grande statue-colonne de Notre-Dame de Paris du musée Carnavalet exposées à « Paris, ville rayonnante » en 2010).
La conservation-restauration et les avancées de la recherche sont au cœur des préoccupations du réseau, en étroite relation avec le C2RMF. On peut ainsi suivre étape par étape les dossiers d’acquisition puis de restauration commune de sculptures comparables (musées de Lille et de Cluny), ou leur mise en valeur avant exposition (sculptures destinées au Louvre-Lens). Très logiquement, l’étude et la reconnaissance des matériaux est systématiquement abordée lors des réunions, qu’il s’agisse du bois polychromé, de la pierre, de l’albâtre ou du marbre. Dans ce domaine, les journées du réseau équivalent largement à une journée de formation permanente. Plus récemment, c’est le plâtre et les moulages de sculptures anciennes qui ont fait l’objet d’une synthèse lors d’une réunion au musée des Monuments français.
Enfin, deux thèmes récurrents ressortent régulièrement. Tout d’abord émerge la question de l’absence de frontière (chronologique et surtout disciplinaire) entre Moyen Âge gothique et Renaissance, qui a été enrichie par les discussions lors des réunions tenues à Brou, à Troyes (2009) et au Grand-Palais (2010) – ce qui devrait aboutir à donner au réseau une inflexion légèrement différente, avec l’inclusion de plein droit de la Renaissance dans son titre, comme le souhaite Sophie Jugie, directrice du département des Sculptures. Ensuite, la question du rapport entre monuments historiques et musées (et son corollaire, entre édifice et objet) a traversé toutes les réunions, qu’il s’agisse de sculptures issues de retables, de statues en pierre issues de portails (réunions à Senlis, Poitiers et Strasbourg), ou d’autres sculptures d’églises de la ville et du département (Saint-Omer et Brou). Dans tous les cas on observe que les débats sont fructueux entre les responsables des collections de musées et leurs collègues des monuments historiques et CAOA, pour approfondir la tradition ancienne des expositions temporaires mêlant les deux types de collections publiques.
Souple, proche de la réalité et de l’actualité mais visant à un enrichissement des connaissances à long terme, le réseau des sculptures médiévales et Renaissance des musées de France est moderne car il s’adapte régulièrement. Il n’a pas de centre ou de périphérie, même si le département des Sculptures du Louvre en est le pilote attentif. En favorisant les échanges de pratiques, il est complémentaire des textes officiels et préconisations qui rythment par ailleurs la vie des musées.